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Page:Mémoires inédits de l'abbé Morellet tome 2 1882.djvu/81

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fait traduire par Mme de C***, et s’étant engagé à lui payer ce travail 15 louis, dès qu’il se vit devancé par ma traduction, vint chez moi furieux et me fit des reproches amers, de ce que j’avais traduit Robertson, sachant bien que son projet était de le faire traduire. Il me menaçait de faire imprimer en quatre jours sa traduction, et de la donner à 25 sous pour faire tomber la mienne, si Denné ne lui remboursait pas les 15 louis qu’il avait, disait-il, déjà payés. Ses plaintes étaient les plus déraisonnables du monde. Il est bien vrai que j’avais quelque soupçon de son projet, mais je ne devais point de sacrifice ni à Mme de C***, ni à lui ; j’avais traduit déjà quelques livres de la même Histoire de l’Amérique dans les quatre premiers volumes publiés par Suard. Suard, fructidorisé, pour parler le langage de nos temps malheureux, était réfugié à Anspach, et ne pouvait exercer l’espèce de droit qu’il avait à ce travail, et que je ne lui aurais pas disputé. J’étais, d’ailleurs, bien sûr qu’avec mon activité je devancerais ma rivale, et que peut-être même ma traduction paraîtrait non-seulement avant que la sienne fût imprimée, mais avant qu’elle fût fort avancée. Je répondis d’abord vertement au sieur Buisson ; mais lorsque je le vis radouci, ma bonhomie me porta à lui promettre que je tirerais de Denné les 15 louis qu’il me demandait, pour éviter cette lutte désagréable de libraire à libraire, et de traducteur à traducteur ; et en effet, au bout d’une quinzaine,