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La clef de voûte de tout le système est le dogme de la chute et de la rédemption. Quand on se place au point de vue du Christianisme il ne faut voir dans la fable juive du paradis, du serpent et de la pomme que ce qu’il a cru y trouver lui-même, puisqu’il se l’est appropriée en la complétant. On peut appliquer à cette fable comme aux autres fables religieuses le mot du philosophe Salluste : « Cela n’est jamais arrivé, mais cela est éternellement vrai. » Le drame de l’Éden se déroule tous les jours sous nos yeux. L’enfant, dont la conscience n’est pas éveillée, est dans le paradis terrestre, dans les limbes de la vie morale ; il n’a pas à lutter, il est impeccable, comma les animaux, car il ne sait pas distinguer le bien du mal. Cette science, il ne peut l’acquérir que par sa première faute, et cette première faute ne peut être qu’une désobéissance. « Pourquoi as-tu mangé de ce fruit, dont je t’avais défendu de manger ? » L’enfant comprend qu’il a mal fait, il sait distinguer le bien du mal ; c’est une chute, car il était innocent et il ne l’est plus, mais sans la chute il n’y aurait pas de rédemption.

Le voilà exilé du paradis, condamné au travail, au dur travail de l’homme sur lui-même, à la perpétuelle nécessité de choisir entre la passion et le devoir. Deux routes s’ouvrent devant lui, l’une mène au salut, l’autre à la perdition, l’une au ciel, l’autre à l’enfer : pourquoi repousserions-nous ces expressions mythologiques qui rendent si clairement la pensée ? Le ciel, c’est la perfection morale ; on voit Dieu face à face, puisque Dieu est le bien personnifié. L’enfer c’est la corruption définitive : à force de choisir le mal, on perd jusqu’à la notion du bien, c’est ce que la langue mystique appelle haïr Dieu. En se faisant de l’accomplissement du devoir une telle habitude qu’on devienne incapable d’une infamie ou d’une lâcheté, on sera au-dessus de la tentation. Si nous arrivions à cette sécurité dans le bien qui nous mettrait à l’abri de la moindre faute, nous serions rachetés de l’esclavage du péché, de l’empire de la mort ; car le péché est la mort de l’âme.

Comment arriver à cette rédemption ? par le sacrifice de soi-même au bonheur des autres ; c’est la plus haute expression du divin dans l’humanité. Elle s’adore avec elle-même, non plus comme aux temps héroïques, dans sa force et sa beauté, mais dans ses douleurs, ses humiliations et sa mort ; l’Homme-Dieu n’est plus un Héros dompteur de monstres, c’est un philosophe ennemi des prêtres et crucifié par eux. L’apothéose de l’homme arrive ici à son dernier terme et s’affirme avec une singulière énergie par les détails profondément humains de l’agonie du Sauveur. Si la mythologie semble mettre l’Homme-Dieu, type de la perfection morale, en dehors des conditions de l’humanité en le faisant naître d’une vierge, c’est que la Pureté immaculée de l’âme peut seule enfanter la vertu d’abnégation et de sacrifice ; rien de plus transparent que ce gracieux symbole de la Vierge-mère, qui a fourni à l’art de la Renaissance un type nouveau du Féminin éternel.

Entre les deux pôles de la vie morale, le ciel et l’enfer, le salut et la