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lution. Homère met la religion du serment sous la garde des Érinnyes ; ce sont les redoutables Déesses qui personnifient à la fois les imprécations de la victime et les remords du coupable, les Euménides, bienveillantes aux justes et terribles aux méchants. Dans Eschyle, elles suivent le meurtrier à la piste comme une meute de chiennes furieuses, attirées par l’odeur du sang répandu. C’est par ces images saisissantes que la mythologie grecque représentait les lois de la conscience, que nul ne viole impunément. La Justice peut attendre, puisqu’elle est éternelle, mais il faut qu’elle ait son heure. Une loi d’équilibre exige que tout crime soit expié ; cet ordre idéal sera réalisé puisqu’il doit être. C’est à l’avenir qu’appartiennent tous les redressements et toutes les réparations : c’est à la vie future que la conscience en appelle de la violation de ses lois.

La poésie est obligée de puiser dans la réalité les éléments de ses créations ; elle ne peut décrire la béatitude des justes sans emprunter cette description à la vie terrestre. Tous les paradis et tous les Élysées de nos rêves ne sont que de pâles copies du spectacle magnifique que la nature offre aux vivants. Le véritable bonheur des morts, c’est de veiller sur ceux qu’ils ont aimés pendant leur vie : telle est la fonction qu’Hésiode attribue aux âmes saintes des ancêtres, aux hommes de la race d’or, devenus les bons Démons, gardiens des mortels. Invisibles, vêtus d’air, ils parcourent le monde, observant les actions justes ou coupables et distribuant les bienfaits. Si les Dieux supérieurs sont trop grands pour nous entendre, si leur providence générale ne peut tenir compte des individus, nous invoquerons ceux qui ont souffert comme nous, et dans ce grand concert de plaintes ils distingueront des voix connues. Si l’ensemble des choses est réglé selon d’inflexibles nécessités, ils recueilleront nos prières, et comme la médecine emprunte aux vertus naturelles des plantes la guérison des maladies, eux, les médiateurs, sauront bien adoucir pour nous, sans les violer, les grandes lois éternelles. Qu’ils nous détournent du mal en nous inspirant leurs grandes pensées ; qu’ils versent d’en haut sur nous leurs influences bénies, et comme le soleil attire les vapeurs de la terre, qu’ils nous élèvent et nous épurent, et nous appellent près d’eux ! Ainsi les prières montent, les secours descendent, et sur tous les degrés du rude chemin de l’ascension il y a des vertus vivantes pour nous conduire vers les régions supérieures.

Le dogme de la vie éternelle était pour les Grecs la conséquence et le complément de leur physique religieuse. La mythologie traduisait sous des formes variées le divin réveil du printemps et la perpétuelle consolation de la nature renaissante. L’homme ne reniait pas sa fraternité avec la nature : il vivait en elle et la sentait vivre en lui. Dans les mystères d’Éleusis, la plus célèbre des initiations, le retour de la végétation après l’hiver et le réveil de l’âme au delà du tombeau étaient représentés dans un même symbole, celui d’une jeune fille, Korè, enlevée par le roi des morts, pleurée par sa mère la Terre, la mère des douleurs, et rendue à la lumière du jour par la volonté de Zeus. Devant cette victoire bénie de