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servée, un concert où il n’y a pas de note fausse ; chaque partie de cet irréprochable ensemble est conforme à ce qui doit être. Or l’immortalité de l’âme convient à la fois à l’éternelle Justice et au légitime orgueil de l’homme, au sentiment qu’il doit avoir de sa noblesse et de sa dignité. Les Héros grecs ne s’endorment pas, comme les patriarches bibliques, à côté de leurs pères : ils conservent au delà du bûcher une vie indépendante. Le peuple les invoque comme des Dieux et honore leurs tombeaux comme des temples ; ils sont les gardiens vigilants des cités, les protecteurs attentifs des familles, les hôtes invisibles de toutes les fêtes, les auxiliaires puissants de leurs fils aux jours des batailles, les guides des générations aventureuses qui vont chercher de nouvelles patries. Ils rattachent par le lien des souvenirs les familles à la cité, les colonies à la métropole, le présent et l’avenir au passé.

On ne peut demander une précision scientifique à la religion, surtout à une religion populaire, qui n’a jamais eu ni orthodoxie, ni église, ni livres sacrés. C’est l’imagination qui ouvre la porte du monde idéal, et l’on ne peut s’attendre à trouver chez les poëtes plus d’unité dans les allusions à la vie future que dans l’expression des symboles divins ; mais à travers les différences de forme, l’immortalité s’affirme toujours. Homère, en cela comme en toute chose, s’attache au point capital : ce qui l’intéresse, c’est la persistance de l’individualité après la mort : or l’individu est déterminé dans l’ensemble des choses par ses rapports avec d’autres êtres, dans l’espace par la forme corporelle, dans le temps par la mémoire. Homère donne donc aux morts une forme visible, quoique impalpable, il fait de la mémoire leur attribut principal, et il réunit dans la mort ceux qui se sont aimés pendant la vie : les amis se promènent ensemble en s’entretenant de leurs souvenirs. On reproche à Homère d’avoir fait dire à Achille qu’il aimerait mieux être le plus humble des vivants que le premier parmi les morts : on oublie qu’Achille, malgré son courage, avoue dans l’Iliade un violent amour de la vie ; s’il parlait autrement dans l’Odyssée, il ne serait plus Achille, on ne le reconnaîtrait pas. Et quand même ces regrets mélancoliques traduiraient la pensée du poëte, ne peut-on pardonner à ce vieil aveugle de n’avoir pas su imaginer quelque chose de plus beau que le soleil ? Si la lumière n’était pas si douce, voudrait-on la retrouver au delà de la tombe, et n’est-ce pas le regret de la vie, pour lui-même et pour ceux qu’il aime, qui éveille dans l’homme l’espérance de l’immortalité ?

En prolongeant la personne humaine après la mort, sans intervalle, et avec la mémoire, le Polythéisme étend pour chacun de nous les conséquences de ses actes et donne ainsi à la morale une sanction plus complète que les autres systèmes religieux. Toute société repose sur le respect de la vie humaine et des conventions jurées ; si un peuple s’imagine que son suffrage peut absoudre le meurtre et le parjure, c’est qu’il n’a plus de religion, c’est-à-dire de lien moral ; il est incapable de résister à l’invasion étrangère et à l’oppression intérieure : c’est une société en disso-