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héroïques brise ses chaînes et le délivre du bec et des ongles des vautours.

Plus souvent encore la destinée humaine est représentée par l’allégorie de Psychè. Le mot Psychè signifie à la fois âme et papillon, et ce double sens indique le rapprochement qui s’offrait à l’esprit des Grecs entre l’insecte ailé sortant de sa chrysalide et la renaissance de l’âme au delà du tombeau. L’union de Psychè avec Éros, c’est-à dire de l’âme avec le désir, a fourni à l’art de nombreux motifs de composition. C’est à l’appel du désir que l’âme est descendue dans la naissance ; alors commencent les épreuves de Psychè : elle est devenue l’esclave du Désir ; des pierres gravées nous la montrent tantôt enchaînée dans ses liens ou attelée à son char, tantôt brûlée par son flambeau ou foulée sous ses pieds. Mais elle peut à son tour dompter le Désir, et alors elle lui emprunte ses ailes pour s’élever, victorieuse, vers le monde supérieur. Les douleurs de l’âme sont des épreuves qui la purifient ; tour à tour bourreau et consolateur, Éros torture Psychè pour l’élever au rang des Dieux, et la conclusion de la fable est l’union mystique de l’âme avec l’idéal poursuivi en vain pendant la vie.

La doctrine orientale des transmigrations s’infiltra peu à peu en Grèce, surtout parmi les philosophes, parce qu’elle s’accordait avec leurs tendances vers le Panthéisme. L’idée de la métempsycose a pu d’ailleurs se produire spontanément, comme une conséquence du flux et du reflux de la vie dans la nature, du retour des saisons et des heures, de ces périodes alternées de lumière et d’ombre, de génération et de mort. Un Grec aurait difficilement admis que l’âme humaine, fût-elle dégradée par le crime, pût perdre la raison et la conscience, qui sont les attributs de l’homme, et entrer dans le corps d’un animal ; mais il pouvait supposer qu’après une épuration proportionnée à ses fautes elle tenterait une nouvelle épreuve. En songeant à la longueur des siècles, l’esprit s’effraye d’une expiation éternelle qui blesse la pitié, d’une éternelle béatitude qui paraît bien voisine du néant ; une succession d’existences actives la satisfait davantage.

Le fleuve d’oubli n’est pas mentionné dans la vieille poésie grecque ; au temps des fortes républiques, les Héros protecteurs n’oubliaient pas ceux qui se souvenaient d’eux ; un lien les retenait près des vivants, l’indestructible chaîne de nos prières et de leurs bienfaits. Mais le culte des Héros devait disparaître avec l’autonomie des cités : quand les peuples ont perdu leurs traditions, les morts oubliés nous oublient à leur tour ; ils boivent l’eau du Lèthè, et ils cherchent des destinées nouvelles. On peut croire que les âmes rentrent dans la vie : celles des méchants pour réparer leurs fautes et se purifier par une nouvelle épreuve, celles des justes pour ramener par le spectacle des vertus antiques les peuples qui s’égarent, et pour se retremper par la lutte aux sources de l’apothéose. Cette croyance restreint à l’intervalle entre deux périodes actives l’idée homérique de la durée par le souvenir ; il est probable qu’elle était assez