Page:Ménard - Poèmes et Rèveries d’un paien mistique, 1895.djvu/191

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O frères, lorsqu’il faut que la Liberté meure,
Heureux ceux qui vont la retrouver dans la mort !
La part qui vous est faite, hélas ! est la meilleure,
Et c’est à vous, sans doute, a pleurer notre sort.

Martyrs, dormez en paix : votre cause était sainte !
Et vos noms blasphémés, qu’on veut enfin ternir,
Après les jours de haine affronteront sans crainte
Le calme jugement d’un plus juste avenir.

Vous avez supporté, depuis votre victoire,
Bien des nuits d’agonie et bien des mornes jours,
Confiants, résignés, et ne voulant pas croire
Que vos élus aussi vous trahiraient toujours.

Chacun de vous trouvait, en rentrant dans son bouge,
Pour hôtes obstinés la misère et la faim
Jusqu’au jour où l’on vit flotter le drapeau rouge
Où vous aviez écrit : « Du travail et du pain ! »

Mais vos maîtres, devant les saintes barricades,
Au testament sinistre inscrit sur vos drapeaux,
Répondaient, à travers les longues fusillades :
« L’ordre de Varsovie et la paix des tombeaux. »

Et vous tombiez, les uns sur le pavé des rues,
Sous le fer et le plomb, moins cruels que la faim,
Les autres, désarmés, le long des avenues,
Sur le sable sanglant de l’abattoir humain.

Ah ! du moins, vous n’avez pas vu sous la mitraille
Vos femmes et vos sœurs s’élancer pour mourir ;
Aux yeux fermés pendant la dernière bataille.
La bienfaisante mort dérobe l’avenir.