Page:Ménard - Rêveries d’un païen mystique, 1911.djvu/115

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oublier : c’est un cratère. Je sentais déjà le vertige de l’abîme. Enfin me voici sauvé : sans doute il y avait un ange qui veillait sur moi. — Mais quoi ? qu’y a-t-il ? Ah ! toi ici, ah ! mon Dieu !

La porte s’était ouverte, et elle était là, debout sur le seuil, blanche comme un rayon de lune, et ses yeux avaient des lueurs d’éclair : Me voici, Éros, cache-moi, protège-moi, sauve-moi. Elle se jeta dans ses bras : Vite, fuyons, ils me poursuivent. J’ai couru sans regarder en arrière. Je crois toujours entendre leurs pas.

Il marchait avec elle dans le chemin du Nil, à travers le désert. Elle lui parlait, haletante et fiévreuse ; elle lui contait sa vie, ses douleurs passées, ses angoisses présentes, et ses dangers et ses terreurs. On voulait l’enchaîner, la retenir captive, on la condamnait au silence. Est-ce qu’on empêche l’eau des sources de courir et de chanter ! Et sa voix pleine de sanglots ressemblait à la mélodie des cascades. Lui, au lieu de l’écouter, il la contemplait, et il trouvait qu’elle ne pouvait pas avoir tort. Il comprenait seulement qu’elle était malheureuse, et il lui disait : n’aie pas peur, pauvre enfant, je suis là.

— Tout le monde est contre moi, disait-elle,