Page:Mérat - Les Chimères, 1866.djvu/46

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 44 —


Devant la porte était un sphinx terrible et beau :
Par les griffes lion ; et femme, par la tête
Et les reins qu’on eût dits l’œuvre d’un pur ciseau

Quelle femme ! Ses yeux étranges faisaient luire
Des secrets attirants comme ceux du tombeau,
Quand sur sa lèvre arquée éclatait son sourire.

Le rossignol chantait délicieusement !
Je fléchis, je baisai la bouche du vampire :
Un charme âcre et subtil m’ôta le sentiment.

La pierre s’anima soudain, devint vivante,
Et jeta des soupirs. Mon chaud baiser d’amant,
Elle le but avec une soif dévorante.

Je crus qu’elle aspirait mon âme avec ma chair ;
Folle de volupté sauvage, haletante,
Lionne, elle me prit dans ses griffes de fer.

Doux martyre, plaisir sanglant, larmes si belles !
Tandis que j’enivrais ma lèvre au baiser cher,
Les ongles me faisaient des blessures cruelles.

Le rossignol chanta : « Sphinx, ô beau sphinx Amour,
« Oh ! pourquoi mêles-tu des souffrances mortelles
« À des félicités plus douces que le jour ?

« Beau sphinx ! explique-moi cet odieux mensonge
« D’aimer et de souffrir par un fatal retour.
« — Pour moi, voilà bien près de mille ans que j’y songe. »

Imité de Henri Heine, L’intermezzo.