Page:Mérejkowsky, Hippius, Philosophoff - Le Tsar et la Révolution, 1907.djvu/222

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les premiers ils conquirent pleine liberté d’esprit vis-à-vis de l’Europe.

Jusqu’ici la Russie n’avait eu que des manifestations isolées de la haute culture, de rares individualités comme Pouchkine, Gogol, Tolstoï, Dostoiewski ; mais il n’y avait aucun milieu, ni tradition. Le flambeau de cette culture passait secrètement de main en main comme le feu des vestales ou la torche des lampadophores dans les mystères. La politique rongeait la culture comme le vent salé ronge les plantes du bord de la mer.

Il se forma une société, sorte d'ordre monastique, pour lutter contre la Béte du tsarisme. Dans la science, l’art, la philosophie, la religion on balaya tout ce qui ne cadrait pas avec le but immédiat de cette lutte. Toute tentative de s’en écarter était jugée comme une trahison. Il y avait deux censures : l'une gouvernementale, réactionnaire, plutôt aveugle et maladroite ; — l’autre révolutionnaire, avec une vue perçante et juste. Toutes deux étaient également impitoyables. La culture russe se trouvait prise entre ces deux feux : il lui était impossible de se mouvoir à droite ou à gauche, mais seulement en arrière dans la vase de la réaction ou en avant dans la gueule de la Bête.

Les décadents russes s’affranchirent du joug