Page:Méric - À travers la jungle politique et littéraire, 2e série, 1931.djvu/108

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bien, en tout cas, du Jean Aicard, ce rimeur insipide, qui entra à l’Académie Française, et dont Camille Pelletan affirmait que lorsque, par extraordinaire, il pondait quelques vers passables, il s’empressait de les trouver mauvais (il n’avait pas l’habitude), et de les lui attribuer.

Donc Clovis nous reçut devant son verre bleu épais à couper au couteau. Et, avec cet accent qui fleurait bon l’aïoli et les oursins du vieux port, il me dit :

— Alorsse… tu es toujours aussi enragé ?

Puis levant les bras au plafond :

— Où allons-nous, si les sénateurs se mettent à fabriquer des anarchistes !

La conversation se prolongea pendant près d’une heure. On ne retrace pas une conversation avec Clovis Hugues. C’était un être extraordinaire, exquis et sublunaire, qui connaissait tout, qui pouvait parler de tout et sur tout. Et quelle verve ! quelle fantaisie méridionale ! quel esprit endiablé ! Ah ! le bon Clovis ! Je l’évoque, aujourd’hui, avec émotion ! Il était si peu sectaire, si loin des pédants prétentieux qui, pour avoir ingurgité quelques bouquins fastidieux, s’imaginent posséder toute science et toute autorité. Modeste avec ça. Il disait : « Je dois monter, demain, à la tribune de la Chambre, pour y prononcer une noble harangue parlementaire ! » Il affirmait que Karl Marx n’avait pris en France que parce que Marseille l’avait adopté (notamment aux Chartreux). Mais, en même temps, vieilli, un peu fatigué, sceptique, il tenait à ses aises. Aussi nous répondit-il :

— Votre meeting ?… Hum !… Je suis très enroué… Antimilitariste, dites-vous ?… Eh !… eh !… ma circonscription.. Enfin !… je ferai l’impossible pour y aller.

Il ne vint pas. Il envoya simplement un mot pour déclarer qu’il était de cœur avec nous. Nous étions très