Page:Méric - À travers la jungle politique littéraire, 1930.djvu/123

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Bar. Tristesse ! Un silence perfide meublait ces lieux. Les indigènes avaient presque tous disparu.

Le soir, rien. Une autre clientèle avait envahi les bistrots. Les derniers des Abencérages tenaient leurs assises, rue de la Harpe, dans une chope rectangulaire, basse de plafond, toujours enfumée où l’on dégustait de la bière du Lion à vingt-cinq centimes le demi.

Il y a des degrés, dans la bohème. Le carrefour Buci, c’était tout à fait en bas de l’échelle. La Chope, c’était déjà mieux. À part le père Jacquemin et quelques vieux obstinés, la « Buci » se voyait à peine représentée. Il y avait là des gens de mœurs plus sévères, de tenue plus digne, qui n’allaient point dîner à la Huchette pour trente centimes. Car j’ai oublié de vous parler de la Huchette où chaque client prenait une poignée de jetons à la caisse, en entrant, et devait se servir lui-même à la cuisine. Je n’exagère en rien quand j’affirme que, pour trente centimes — six sous ! — on faisait des repas copieux. Détaillons : pain, un sou ; viande, trois sous ; légume ou dessert, deux sous. Comme boisson, de l’eau. Quand on pouvait s’offrir du vin, c’était la grande noce. Et, parfois, au moment de régler le garçon avec les jetons, on trouvait le moyen de lui faire « sauter » un plat. On s’en tirait, ce soir-là, avec quatre sous.

À la Chope, on ignorait ces choses. Le genre était tout différent. Les clients faisaient figure d’hommes sérieux, quelquefois très graves. C’était le temps de l’hervéisme, de la Guerre Sociale, des grandes