Page:Méric - À travers la jungle politique littéraire, 1930.djvu/128

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les « r », versés en cascades formidables sur ses auditeurs bénévoles. Sa grande passion était de discourir. Il pérorait avec fureur. Il pérorait dans la rue, à la Chope, dans les groupes, partout.

Ce qui le sauvait, c’était un grand bon sens pratique, une vision juste des choses qui l’arrachaient au ridicule total et en faisaient même, parfois, un homme de bon conseil. Le vieux, d’ailleurs, avait roulé sa bosse un peu partout. Sorti de l’Assistance publique et ne se connaissant point de famille, il se « débrouillait » dès l’âge de douze ans, cheminant à travers monts et vaux, tantôt garçon de ferme, tantôt aide-maçon, garçon de café, marchand de charbon… Dans ses dernières années, il représentait une maison d’habits laissés pour compte.


À l’âge de vingt ans, seul et sans secours, il s’était mis à apprendre à lire et à écrire. Plus tard, il s’était offert l’absorption d’une certaine quantité de « brochures de propagande ». Dans sa cervelle en jachères, quelques excellentes idées avaient pris racine.

Le malheur, c’est qu’il parlait trop. Encore s’il s’était contenté de parler simplement. Mais il croyait devoir se lever, prendre la pose et le ton de l’orateur de réunions publiques et ameuter tout l’établissement. Si on essayait de l’arrêter, il se fâchait tout rouge.

Il prononçait imperturbablement : les z’Huguenots. Un soir, on l’avait vu s’encolérer soudainement parce qu’un jeune homme, à côté de lui, vantait Balzac :

— C’est bon pour les bourgeois, tonitruait le père Escat. Est-ce que nous avons le temps, nous, les prolétaires, qui travaillons du matin au soir,