Page:Méric - À travers la jungle politique littéraire, 1930.djvu/129

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de lire des machines comme ça ? Fichez-moi donc la paix avec votre Balzac.

Il prononçait « Balzaque ». Mais on avait trop rigolé autour de lui. Il avait eu conscience de sa gaffe. Et, belle âme, naïvement, il cherchait à se rattraper :

— Bien sûr que votre « Balzaque », c’est un grand écrivain. Je le sais, parbleu ! Je ne l’ai pas lu. « Mais j’en ai entendu parler en d’excellents termes. »

*
* *

Certains soirs, la Chope était comble et tumultueuse. Nombre de petits fonctionnaires se mêlaient à des jeunes gens dits de lettres, à des rapins chahuteurs, à des journalistes. À la table des socialistes, c’étaient des vociférations, des coups de poings sur le marbre. On disséquait les conceptions sociales, économiques et historiques de Karl Marx ou l’on dénonçait âprement les ambitions prématurées de quelques camarades arrivistes. À deux pas de là, des jeunes gens pâles, aux cheveux longs et crasseux, aux nez prétentieux, aux yeux vitreux, roucoulaient du Stéphane Mallarmé.

Leurs voix avaient l’inflexion des voix qui vont se taire et expirer, tout doucement, mais qui persistent dans une note de plus en plus languissante et monotone. Ils n’interrompaient leur ronronnement que pour se jeter à la face des noms de poète, avec des exclamations sourdes de mépris ou des gestes las d’admiration…

Plus loin, c’étaient quelques autres jeunes gens aux