Page:Méric - À travers la jungle politique littéraire, 1930.djvu/140

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d’une petite mésaventure. Nous nous trouvions, boulevard Saint-Michel, devant une pâtisserie célèbre entre toutes parce qu’à la fermeture, cafés, restaurants, brasseries, déversaient là leur clientèle nocturne. Étudiants, pierreuses, bohèmes, souteneurs, agent des mœurs, toutes les variétés de noctambules se rejoignaient devant la porte. Et les discussions orageuses se poursuivaient sur le trottoir. Un soir donc, ou plutôt un matin, il était question de Nietzsche, de Karl, de métaphysique. Le Grand Chose tranchait, péremptoire. Tout à coup, son partenaire lâcha le nom de Malebranche.

Le Grand Chose s’esclaffa.

— Pourquoi rigolez-vous ? hurla l’autre furieux. Connaissez-vous Malebranche ? Avez-vous lu Malebranche ?

— Euh !…

— Dites-moi donc, seulement, le titre de son ouvrage. Voyons, puisque vous le connaissez…

Le Grand Chose se gratta la nuque, embarrassé. Je le poussai du coude et murmurai : « De la recherche… »

Mais l’adversaire m’interrompit violemment :

— Ce n’est pas vous que j’interroge.

Et, planté devant le Grand Chose, rouge de colère, il lui criait dans le visage :

— Alors, vous ne savez pas ? Et vous avez le culot de vouloir juger ! C’est malhonnête, cela, savez-vous.

Je dus entraîner le Grand Chose, interloqué, puis furieux à son tour. Les choses menaçaient de se gâter.

Il devait se souvenir longtemps de l’homme qui