Page:Méric - Le Crime des Vieux, 1927.djvu/10

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L’inquiétude me taraude. Faut-il le proclamer, hautement, crûment ? Eh bien ! il y a des instants où je ne suis pas certain que nous ayons absolument le droit de capter la vie à notre profit et que nous servions ainsi la cause même de la vie. Des doutes se précipitent sur moi, semblables à des cavaliers armés de lances. Quelle faiblesse m’envahit ? Allons ! voyons les choses sans timidité ni crainte. Ugolin ne peut s’abuser. Ugolin règne. Ugolin est Dieu.

J’ai foi, j’atteste ma foi, mon inaltérable, mon indestructible foi en Ugolin.

Je jette un défi au ciel et à la terre.

Et, pourtant, quel instinct obscur m’a conduit, cette nuit, à ouvrir mes tiroirs, à fouiller mes paperasses, jaunies, à compulser mes notes de jadis, — d’un jadis si éloigné ! — griffonnées rageusement sur des feuillets épars en des jours de sombre doute et d’infernales angoisses ? Tout un passé aboli ressuscite. Oh ! mon ancêtre de l’an mil neuf cent trente-cinq, qui fut moi, qui reste moi tout en étant autre, vas-tu, à nouveau, me souffler tes épouvantes ?

J’ai cédé au besoin invincible de revoir tout cela, de le remâcher, en quelque sorte. Pourquoi ? Pour aider à l’Histoire, cette commère ? Pour d’autres qui chercheront, liront, voudront savoir ? Peut-être. Je ne puis me défendre de cette impression encore vague, qu’une loi inéluctable conduit la nature ! (oui ! encore un mot, je sais bien) par nous violentée et asservie. J’ai peur de la revanche de l’Inconnaissable. Je redoute que la plus formidable et la plus féconde des expériences tentée par des êtres faits de chair, d’os et de nerfs n’approche de sa fin.