Page:Méric - Le Crime des Vieux, 1927.djvu/122

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Il me parut alors que le chauffeur à la carrure massive se penchait vers sa gauche, tendait la main, comme s’il s’efforçait de ramasser quelque objet. Cela fut très rapide. Il reprit sa position normale. Juliette, de nouveau silencieuse, s’enfonçait dans le drap de la banquette.

Je me pris à rêver. Quelle bizarre petite femme, dominée par ses nerfs, fantasque et pourtant si aimante. Pourquoi diable me poussait-elle vers cet oncle mystérieux dont elle ne m’avait jamais parlé qu’à mots couverts ? Avait-elle renoncé à sa discrétion coutumière ? Allait-elle me faire pénétrer dans le secret de son existence compliquée ? Je voulus l’interroger et je tournais la tête vers elle. Je m’aperçus alors qu’une sorte d’engourdissement subit me gagnait. Ma tête était trop lourde. J’ouvris la bouche et je balbutiai avec peine :

— Jul… liette…

Je la vis qui, anxieusement, se courbait sur moi. Ses lèvres se rapprochèrent des miennes. Je sentis la tiédeur humide de sa langue. Mais j’étais immobilisé. Je roulais sans un mouvement. Mes yeux se fermèrent. Des images confuses défilèrent… Un monstre à plusieurs membres, pareil à un poulpe géant… Ugolin… Et, tout autour, des cadavres, des tas de cadavres entrelacés, dansant, trépignant, hilares… puis Juliette, et encore Juliette, deux, trois, quatre Juliette qui m’entouraient, riant, se dérobant, s’évanouissant… Et, tout à coup, un grand trou, une chute lente et très douce dans un abîme… plus rien… l’anéantissement… le coma… la glissade dans l’insensibilité totale.