de nègre m’a fourré sous le nez une boîte de cigares de choix comme j’en ai très rarement fumés, surtout en ce temps malencontreux où nos surintendants augmentent périodiquement le prix du tabac et tirent des revenus de la vapeur que nous soufflons aux nuages.
Béatement renversé dans mon fauteuil, je savoure mon cigare en regardant se tortiller les volutes bleues et grises où je sculpte du rêve. Un immense bien-être me gagne et me ragaillardit. Je songe sans mélancolie à mon aventure qui, fort bien commencée, peut se terminer plutôt mal. Un instant je m’attendris sur Juliette. Après tout, la chère petite ne m’a-t-elle pas avoué, par toute son attitude et surtout par le baiser sauvage qu’elle m’a plaqué si brusquement sur les lèvres, là-bas, à la terrasse de Villers, tous les remords qui la bouleversaient. Elle a dû souffrir horriblement, j’en ai la conviction, l’absolue conviction, de son inexcusable traîtrise. Mais comment en est-elle venue là, à ce métier de pourvoyeuse pour minotaures ? À qui obéit-elle ? Et comme l’énigme vivante qu’elle composait devient maintenant d’une clarté éblouissante. Pauvre petite chose. Indéchiffrable enfant ! Je crois bien, oui, je crois, ô Juliette, que si tu t’avisais d’entrer en cet instant, humiliée, repentante et soumise, je t’accorderais ton pardon.
Ce n’est pas Juliette qui entre. C’est le chauffeur, avec sa barbiche blanche et son sourire (il ne pouvait, naturellement, les laisser dehors). Il me questionne :
— Eh bien ! ça va mieux ?
— Tout à fait bien. Repas exquis. Cigare excellent.