Page:Méric - Le Crime des Vieux, 1927.djvu/284

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pour réaliser un aussi complet chambardement. Détruire un monde marqué pour Attila, ce n’était rien. Sauter à la gorge des fléaux, museler la Machine, disperser les fourmilières fétides qu’étaient les grandes villes, simple amusette pour lui. Mais pour que les assises de sa société fussent solides, il lui fallait décortiquer la nature humaine. Les individus étaient nécrosés de religiosité, de superstitions, de basses croyances. Leur éducation exigeait des siècles. Le maître a préféré leur administrer le contre-poison en les prenant dès leur débarquement sur le quai de la vie et en épuisant, en eux, toute faculté imaginative. L’Imagination est un grand facteur de progrès intellectuel, mais, aussi, un toxique rongeur amenant la sophistication cérébrale. Elle va de l’ombre à la lumière, du plein air aux caves nauséabondes où s’agite toute une vermine gluante et rampante. Ugolin a tué l’Imagination. Il n’a laissé subsister que la Raison froide, tranchante comme un rasoir. Neutrides et stérilisés ne conçoivent point. Ils raisonnent. Leur cerveau est un rouage que nous graissons, que nous alimentons avec l’huile des faits. Cerveau-Moteur, voilà l’homme d’Ugolin.

L’imagination abolie, la passion ne put survivre. L’amour, la haine, l’ambition, la soif du lucre, tous ces ressorts de l’activité humaine s’affaiblirent peu à peu jusqu’à l’extinction. On fit l’amour avec sérénité, calmement, comme on mangeait, sans les complications odieuses de la jalousie, ce fléau dévastateur. Aimer devint une fonction animale, une exigence naturelle. Seuls les vieux jeunes s’y adonnèrent avec frénésie et cultivèrent cet art difficile, de même qu’ils se complai-