Page:Méric - Le Crime des Vieux, 1927.djvu/36

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Debout, je chasse d’un effort les hantises tournoyant dans les spires de mon esprit. Sur les fantasmagories du passé, il est très vrai qu’Ugolin a su installer le bonheur des siens. Un bonheur total de paix et de certitude pour le troupeau des neutrides comme pour celui des stérilisés. Nous seuls de l’Élite, autour du Maître parvenu au gratte-ciel de la Connaissance, luttons contre l’angoisse et n’ignorons point que ce microcosme périssable nous emportera dans la catastrophe sans remède. Nous nous sommes penchés sur la bouche sans fond du Néant et nous n’avons pas craint de nous colleter avec l’Inconscient. Dieu rayé de notre vocabulaire, la Vie, cette projection du rien, demeure notre seule préoccupation. Mais pourquoi Ugolin… ?

Judith, à cet instant même, me jette l’éclat de ses deux grands yeux sombres. J’ai comme la sensation qu’elle lit dans mon trouble. Elle plisse ses paupières et, de sa voix lente, d’une harmonie traînante, elle parle :

— Vous paraissez inquiet, mon ami ?

Elle s’appuie tout contre mon épaule, câline et les paupières entr’ouvertes, une lueur verte glissant des prunelles… Le regard de l’autre, encore… toujours… Je la repousse, faiblement, avec une plainte :

— Judith… ne vous moquez point. Entre toutes, je vous ai prise comme confidente. Vous savez bien des choses… trop peut-être…