Page:Méric - Le Crime des Vieux, 1927.djvu/39

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est le ventre de la mer. Au ciel fade, la lune montre sa face boursouflée et grimaçante de vieille commère crevant d’une fluxion. C’est son rire fané qui allume la Seine, et, autour d’elle, fait reculer d’horreur la chasteté limpide des étoiles. Millions et millions de lampadaires, larmes d’or voletantes, bestioles irradiantes, vous êtes autant de graines insipides dans le jardin céleste, de cellules aveugles promises au pourrissoir, sans âme ni conscience ! Que nous voulez-vous, myriades de pustules épanouies sur la carcasse du néant ? Quel sortilège macabre et quelle dérision vous conduisent à éclairer nos misères ?

Le temps est tiède ! Des senteurs puissantes s’envolent du sol. L’air est parfumé comme une chevelure d’enfant. Demain, l’aube sera radieuse et féconde. Demain ?… Jamais, je n’ai aussi âprement senti tout ce que ce mot contenait d’incertitude et d’angoisse. Je sais, maintenant, que nous ne sommes plus les maîtres de ce demain. L’avenir nous échappe… Ugolin s’est trompé. Nous nous sommes trompés. Faillite de toutes nos certitudes. Nous, les êtres supérieurs, les dominateurs, les dispensateurs de force, nous voici aussi veules et désemparés que les hommes d’autrefois, les vieillards des âges révolus qui ne prenaient pas le temps de vivre.

Cet autrefois, je l’aimante avec une obstination maladive. Je m’y plonge et m’y embourbe. Je croyais, jusqu’à ce jour, avoir desserré son étreinte ; il me raccroche de ses mains sales et tenaces. Il est sur moi, en moi, autour de moi. Juliette renaissant dans Judith. Ugolin retournant à son point de départ, redevenant le petit vieux ricanant, toussotant et sarcastique. Puis cet enfant qui disparaît, après tant d’autres. Car cet