Page:Mérimée, Lettres à une inconnue 1,1874.djvu/95

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toute. Nous nous donnons si rarement de nos nouvelles, que nous avons bien des choses à nous dire pour nous mettre au courant. Voici mon histoire :

J’ai revu ma chère Espagne pendant l’automne de 1840 ; j’ai passé deux mois à Madrid, où j’ai vu une révolution très-bouffonne, de très-belles courses de taureaux, et l’entrée triomphale d’Espartero, qui était la parade la plus comique du monde. Je demeurais chez une amie intime, qui est pour moi une sœur dévouée ; j’allais le matin à Madrid et je revenais dîner à la campagne avec six femmes, dont la plus âgée avait trente-six ans. Par suite de la révolution, j’étais le seul homme qui pût aller et venir librement, en sorte que ces six infortunées n’avaient pas d’autre cortejo. Elles m’ont prodigieusement gâté. Je n’étais amoureux d’aucune et j’ai peut-être eu tort. Bien que je ne fusse pas dupe des avantages que me donnait la révolution, j’ai trouvé qu’il était très-doux d’être ainsi sultan, même ad honores. À mon retour à Paris, je me suis donné l’innocent plaisir de faire imprimer un livre sans le publier. On n’en a tiré que cent cinquante