Page:Mérimée, Lettres à une inconnue 2,1874.djvu/308

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quelques années. Nous avons renouvelé connaissance. Peu après ma lecture, je reçois la visite d’un homme de la police, se disant envoyé par la grande-duchesse. « Qu’y a-t-il, pour votre service ? — Je viens, de la part de Son Altesse impériale, vous prier de venir ce soir chez elle avec votre roman. — Quel roman ? — Celui que vous avez lu l’autre jour à Sa Majesté. » Je répondis que j’avais l’honneur d’être le bouffon de Sa Majesté, et que je ne pouvais aller travailler en ville sans sa permission : et je courus tout de suite lui raconter la chose. Je m’attendais qu’il en résulterait au moins une guerre avec la Russie, et je fus un peu mortifié que non-seulement on m’autorisât, mais encore qu’on me priât d’aller le soir chez la grande-duchesse, à qui on avait donné le policeman comme factotum. Cependant, pour me soulager, j’écrivis à la grande-duchesse une lettre d’assez bonne encre, et je lui annonçai ma visite. J’allais porter ma lettre à son hôtel ; il faisait beaucoup de vent, et, dans une ruelle écartée, je rencontre une femme qui menaçait d’être emportée en mer par ses jupons, où le vent était entré, et qui était dans le plus grand