Page:Mérimée - Carmen.djvu/103

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ces chansons magiques où elle invoquent Marie Padilla, la maîtresse de don Pédro, qui fut, dit-on la Bari Crallisa, ou la grande reine des bohémiens[1] :

— Carmen, lui dis-je, voulez-vous venir avec moi ?

Elle se leva, jeta sa sébile, et mit sa mantille sur sa tête comme prête à partir. On m’amena mon cheval, elle monta en croupe et nous nous éloignâmes.

— Ainsi, lui dis-je, ma Carmen, après un bout de chemin, tu veux bien me suivre n’est-ce pas ?

— Je te suis à la mort, oui, mais je ne vivrai plus avec toi.

Nous étions dans une gorge solitaire ; j’arrêtai mon cheval. — Est-ce ici ? — dit-elle, et d’un bond elle fut à terre. Elle ôta sa mantille, la jeta à ses pieds, et se tint immobile un poing sur la hanche, me regardant fixement.

— Tu veux me tuer, je le vois bien, dit-elle ; c’est écrit, mais tu ne me feras pas céder.

— Je t’en prie, lui dis-je, sois raisonnable. Écoute-moi ! tout le passé est oublié. Pourtant, tu le sais, c’est

  1. On a accusé Marie Padilla d’avoir ensorcelé le roi don Pèdre. Une tradition populaire rapporte qu’elle avait fait présent à la reine Blanche de Bourbon d’une ceinture d’or, qui parut aux yeux fascinés du roi comme un serpent vivant. De là la répugnance qu’il montra toujours pour la malheureuse princesse.