Page:Mérimée - Carmen.djvu/187

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les yeux involontairement. Il y eut un assez long silence que troublait seule la respiration oppressée de la malade. Madame de Piennes venait de se rappeler confusément certaine histoire de camellia. Un jour, qu’elle dînait chez madame Aubrée, Max lui avait dit que sa tante venait de lui souhaiter sa fête, et lui demanda de lui donner un bouquet aussi. Elle avait détaché, en riant, un camellia de ses cheveux, et le lui avait donné. Mais comment un fait aussi insignifiant était-il demeuré dans sa mémoire ? Madame de Piennes ne pouvait se l’expliquer. Elle en était presque effrayée. L’espèce de confusion qu’elle éprouvait vis-à-vis d’elle-même était à peine dissipée lorsque Max entra, et elle se sentit rougir.

— Merci de vos fleurs, dit Arsène ; mais elles me font mal… Elles ne seront pas perdues ; je les ai données à madame. Ne me faites pas parler, on me le défend. Voulez-vous me lire quelque chose ?

Max s’assit et lut. Cette fois personne n’écouta, je pense : chacun, y compris le lecteur, suivait le fil de ses propres pensées.

Quand madame de Piennes se leva pour sortir, elle allait laisser le bouquet sur la table, mais Arsène l’avertit de son oubli. Elle emporta donc le bouquet, mé-