Page:Mérimée - Carmen.djvu/323

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produite par la vérité des descriptions et le naturel du dialogue.

Le maître immortel de cette école de narrateurs décousus, mais ingénieux et attachants, dans laquelle M. Gogol a droit à un rang distingué, c’est Rabelais, qu’on ne saurait trop admirer ni trop étudier ; mais l’imiter aujourd’hui, c’est, je crois, chose difficile et, de plus, dangereuse. Malgré les grâces inexprimables de sa vieille langue, on ne peut lire de suite vingt pages de Rabelais. On se lasse promptement de ce bien dire, si original, si coloré, mais dont le but échappe toujours, sauf à quelques Œdipes comme Le Duchat ou Éloi Johanneau. De même que les yeux se fatiguent à observer des animalcules au microscope, l’esprit se fatigue à la lecture de ces pages brillantes, où pas un mot n’est à retrancher peut-être, mais que peut-être aussi on pourrait supprimer tout entières de l’ouvrage dont elles font partie sans lui faire perdre sensiblement de son mérite. L’art de choisir parmi les innombrables traits que nous offre la nature est, après tout, bien plus difficile que celui de les observer avec attention et de les rendre avec exactitude.

La langue russe, qui est, autant que j’en puis juger, le plus riche des idiomes de l’Europe, semble faite