« Le Recteur. — Ne faites pas attention.
« Khlestakof. — Point d’étiquette, messieurs. Asseyez-vous, je vous en prie, sans distinction de rangs… Moi, je fais tous mes efforts pour glisser partout sans qu’on me remarque. Mais que voulez-vous ? Je ne sais comment cela se fait. Je ne puis être incognito nulle part. Partout où je vais, on dit : « Ah ! dit-on, voilà Ivan Alexandrovitch. » Oui, une fois, figurez-vous qu’on m’a pris pour le commandant en chef. La sentinelle a crié aux armes, les soldats sont sortis du poste. L’officier, qui était une de mes connaissances, me dit après : « Tiens, dit-il, mon cher, nous t’avons pris pour le commandant en chef. »
« Anna. — En vérité !
« Khlestakof. — Les petites actrices me connaissent comme le loup blanc… Je vois souvent les vaudevilles… et les gens de lettres. Je suis à tu et à toi avec Pouchkine. Quelquefois je lui dis comme cela : « Eh bien ! mon cher Pouchkine, qu’est-ce que nous faisons ? — Eh bien ! qu’il me répond, euh… euh… » — C’est un grand original !
« Anna. — Ah ! vous écrivez aussi. Comme ce doit être amusant d’être auteur ! Probablement que vous travaillez aussi pour les journaux ?
« Khlestakof. — Mon Dieu, oui. Il faut bien y mettre quelque chose. C’est moi qui ai fait le Mariage de Figaro, Robert le Diable, Norma… J’oublie les titres, ma foi… Oh ! je ne fais cela qu’à l’occasion. Je ne voulais pas écrire, et puis les directeurs de théâtre viennent ; ils me disent : « Voyons, mon cher, écrivez-nous donc quelque chose, » Je réfléchis un instant, et puis je dis : « Allons, voyons ! » Je m’y mets pendant une soirée, et voilà la chose bâclée. J’ai, comme cela, une facilité vraiment singulière. Tout ce qui a paru sous le nom du baron de Brambeus, la Frégate, l’Espérance, le Télégraphe de Moscou, tout cela est de votre serviteur.