Page:Mérimée - Carmen.djvu/366

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cents roubles ! Qu’est-ce que cela ? Prends-en cinq cents, et sois-nous en aide.

« Khlestakof. — Vous le voulez ! je les prends. C’est une dette sacrée pour moi.

« Les marchands, lui présentant les billets sur un plateau d’argent. — Prends au moins ce plateau.

« Khlestakof. — Passe pour le plateau.

« Les marchands se prosternant. — Prends encore le sucre avec.

« Khlestakof. — Oh ! jamais ! Point de cadeaux !

« Le valet. — Monseigneur, pourquoi ne pas prendre cela ? En voyage, tout sert. Allons, voyons les pains de sucre et l’eau-de-vie. Qu’est-ce que cela encore ? De la ficelle. Donnez-moi cette ficelle. Cela peut servir en route. On rattache tout avec de la ficelle. »

Tout cela peut être un tableau vrai, mais il est un peu sombre pour être comique. Voici qui est encore plus grave. Aux marchands succèdent deux femmes. En entrant, elles se mettent à genoux.

« Khlestakof. — Levez-vous. Qu’une seule parle à la fois. Toi, que demandes-tu ?

« Première femme. — Je demande miséricorde. Je frappe la terre du front contre le gouverneur. Que le Seigneur l’accable de tous les maux, lui et ses enfants, oui, ce gredin-là, ses oncles et ses tantes, et que rien ne leur profite !

« Khlestakof. — De quoi s’agit-il ?

« Première femme. — Il a fait raser la tête à mon mari pour qu’il fût soldat[1], quoique ce ne fût pas notre tour, le gredin ! Et la loi le défend : il est marié.

  1. Les paysans russes portent les cheveux longs. Lorsqu’un homme est désigné pour être soldat, on lui rase les cheveux par