Page:Mérimée - Carmen.djvu/64

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comme un Maure, chez qui beaucoup de bourgeois venaient manger du poisson frit, surtout, je crois, depuis que Carmen y avait pris ses quartiers.

— Lillas, dit-elle sitôt qu’elle me vit, je ne fais plus rien de la journée. Demain il fera jour[1] ! Allons, pays, allons nous promener.

Elle mit sa mantille devant son nez, et nous voilà dans la rue, sans savoir où j’allais.

— Mademoiselle, lui dis-je, je crois que j’ai à vous remercier d’un présent que vous m’avez envoyé quand j’étais en prison. J’ai mangé le pain ; la lime me servira pour affiler ma lance, et je la garde comme souvenir de vous ; mais l’argent, le voilà.

— Tiens ! il a gardé l’argent, s’écria-t-elle en éclatant de rire. Au reste, tant mieux, car je ne suis guère en fonds ; mais qu’importe ? chien qui chemine ne meurt pas de famine[2]. Allons, mangeons tout. Tu me régales.

Nous avions repris le chemin de Séville. À l’entrée de la rue du Serpent, elle acheta une douzaine d’oranges, qu’elle me fit mettre dans mon mouchoir. Un peu plus

  1. Mañana serà otro dia. — Proverbe espagnol.
  2. Chuquel sos pirela,
    Cocal terela.

    Chien qui marche, os trouve. — Proverbe bohémien.