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Page:Mérimée - Carmen.djvu/67

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ne sachant où les poser. Elle jeta tout par terre, et me sauta au cou, en me disant : — Je paye mes dettes, je paye mes dettes ! c’est la loi des Calés[1] ! — Ah ! monsieur, cette journée-là ! cette journée-là !… quand j’y pense, j’oublie celle de demain.

Le bandit se tut un instant ; puis, après avoir rallumé son cigare, il reprit :

Nous passâmes ensemble toute la journée, mangeant, buvant, et le reste. Quand elle eut mangé des bonbons comme un enfant de six ans, elle en fourra des poignées dans la jarre d’eau de la vieille. — C’est pour lui faire du sorbet, disait-elle. Elle écrasait des yemas en les lançant contre la muraille. — C’est pour que les mouches nous laissent tranquilles, disait-elle… Il n’y a pas de tour ni de bêtise qu’elle ne fit. Je lui dis que je voudrais la voir danser ; mais où trouver des castagnettes ? Aussitôt elle prend la seule assiette de la vieille, la casse en morceaux, et la voilà qui danse la romalis en faisant claquer les morceaux de faïence aussi bien que si elle avait des castagnettes d’ébène où d’ivoire. On ne s’ennuyait pas auprès de cette fille-là,

  1. Calo ; féminin, calli ; pluriel, cales. Mot à mot : noir, — nom que les bohémiens se donnent dans leur langue.