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Page:Mérimée - Carmen.djvu/76

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pastesas[1] ; mais tu es leste et fort : si tu as du cœur, va-t’en à la côte, et fais-toi contrebandier. Ne t’ai-je pas promis de te faire pendre ? Cela vaut mieux que d’être fusillé. D’ailleurs, si tu sais t’y prendre, tu vivras comme un prince, aussi longtemps que les miñons[2] et les gardes-côtes ne te mettront pas la main sur le collet.

Ce fut de cette façon engageante que cette diable de fille me montra la nouvelle carrière qu’elle me destinait, la seule, à vrai dire, qui me restât, maintenant que j’avais encouru la peine de mort. Vous le dirai-je, monsieur ? elle me détermina sans beaucoup de peine. Il me semblait que je m’unissais à elle plus intimement par cette vie de hasards et de rébellion. Désormais je crus m’assurer son amour. J’avais entendu souvent parler de quelques contrebandiers qui parcouraient l’Andalousie, montés sur un bon cheval, l’espingole au poing, leur maîtresse en croupe. Je me voyais déjà trottant par monts et par vaux avec la gentille bohémienne derrière moi. Quand je lui parlai de cela, elle riait à se tenir les côtés, et me disait qu’il n’y a rien de si beau qu’une nuit passée au bivouac, lorsque chaque rom se retire avec sa romi sous sa petite tente formée

  1. Ustilar à pastesas, voler avec adresse, dérober sans violence.
  2. Espèce de corps franc.