Page:Mérimée - Carmen.djvu/86

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pondre avec Carmen. Je mis mon âne dans une écurie, et, prenant mes oranges, j’allais par la ville comme pour les vendre, mais, en effet, pour voir si je ne rencontrerais pas quelque figure de connaissance. Il y a là force canaille de tous les pays du monde, et c’est la tour de Babel, car on ne saurait faire dix pas dans une rue sans entendre parler autant de langues. Je voyais bien des gens d’Égypte, mais n’osais guère m’y fier ; je les tâtais, et ils me tâtaient. Nous devinions bien que nous étions des coquins ; l’important était de savoir si nous étions de la même bande. Après deux jours passés en courses inutiles, je n’avais rien appris touchant la Rollona ni Carmen, et je pensais à retourner auprès de mes camarades après avoir fait quelques emplettes, lorsqu’en me promenant dans une rue, au coucher du soleil, j’entends une voix de femme d’une fenêtre qui me dit : — Marchand d’oranges !… Je lève la tête, et je vois à un balcon Carmen, accoudée avec un officier en rouge, épaulettes d’or, cheveux frisés, tournure d’un gros mylord. Pour elle, elle était habillée superbement : un châle sur les épaules, un peigne d’or, toute en soie ; et la bonne pièce, toujours la même ! riait à se tenir les côtes. L’Anglais, en baragouinant l’espagnol me cria de monter, que madame voulait des oranges ; et Carmen me