Page:Mérimée - Carmen.djvu/87

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dit en basque : — Monte, et n’étonne de rien. — Rien, en effet, ne devait m’étonner de sa part. Je ne sais si j’eus plus de joie que de chagrin en la retrouvant. Il y avait à la porte un grand domestique anglais, poudré, qui me conduisit dans un salon magnifique. Carmen me dit aussitôt en basque : — Tu ne sais pas un mot d’espagnol, tu ne me connais pas. — Puis, se tournant vers l’Anglais : — Je vous le disais bien, je l’ai tout de suite reconnu pour un Basque ; vous allez entendre quelle drôle de langue. Comme il a l’air bête, n’est-ce pas ? On dirait un chat surpris dans un garde-manger. — Et toi, lui dis-je dans ma langue, tu as l’air d’une effrontée coquine, et j’ai bien envie de te balafrer la figure devant ton galant. — Mon galant ! dit-elle, tiens, tu as deviné cela tout seul ? Et tu es jaloux de cet imbécile-là ? Tu es encore plus niais qu’avant nos soirées de la rue du Candilejo. Ne vois-tu pas, sot que tu es, que je fais en ce moment les affaires d’Égypte, et de la façon la plus brillante. Cette maison est à moi, les guinées de l’écrevisse seront à moi ; je le mène par le bout du nez ; je le mènerai d’où il ne sortira jamais.

— Et moi, lui dis-je, si tu fais encore les affaires d’Égypte de cette manière-là, je ferai si bien que tu ne recommenceras plus.