le pansement, voilà Chilina qui a rattrapé votre cheval. Montez et venez avec moi au mâquis de la Stazzona. Bien avisé qui vous y trouverait. Nous vous y traiterons de notre mieux. Quand nous serons à la croix de Sainte-Christine, il faudra mettre pied à terre. Vous donnerez votre cheval à Chilina, qui s’en ira prévenir mademoiselle, et, chemin faisant, vous la chargerez de vos commissions. Vous pouvez tout dire à la petite, Ors’ Anton’ : elle se ferait plutôt hacher que de trahir ses amis. — Et d’un ton de tendresse : Va, coquine, disait-il, sois excommuniée, soit maudite, friponne ! — Brandolaccio, superstitieux comme beaucoup de bandits, craignait de fasciner les enfants en leur adressant des bénédictions ou des éloges, car on sait que les puissances mystérieuses qui président à l’anocchiatura[1] ont la mauvaise habitude d’exécuter le contraire de nos souhaits.
— Où veux-tu que j’aille, Brando ? dit Orso d’une voix éteinte.
— Parbleu ! vous avez à choisir : en prison ou bien au mâquis. Mais un della Rebbia ne connaît pas le chemin de la prison. Au mâquis, Ors’ Anton’.
— Adieu donc toutes mes espérances ! s’écria douloureusement le blessé.
— Vos espérances ? Diantre ! espériez-vous faire mieux avec un fusil à deux coups ?… Ah çà ! comment diable vous ont-ils touché ? Il faut que ces gaillards-là aient la vie plus dure que les chats.
— Ils ont tiré les premiers, dit Orso.
— C’est vrai, j’oubliais… Pif ! pif ! boum ! boum !… coup double d’une main[2] !… Quand on fera mieux, je m’irai
- ↑ Fascination involontaire qui s’exerce, soit par les yeux, soit par la parole.
- ↑ Si quelque chasseur incrédule me contestait le coup double de M. della Rebbia, je l’engage à aller à Sartène, et à se faire raconter comment l’un des habitants les plus distingués et les plus aimables de cette ville se tira seul, et le bras gauche cassé, d’une position au moins aussi périlleuse.