Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/138

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souffert pour écrire. Giocanto, qui a une main superbe, lui avait offert d’écrire sous sa dictée. Il n’a pas voulu. Il écrivait avec un crayon, couché sur le dos. Brandolaccio tenait le papier. À chaque instant mon frère voulait se lever, et alors, au moindre mouvement, c’étaient dans son bras des douleurs atroces. C’était pitié, disait Giocanto. Voici sa lettre.

Miss Nevil lut la lettre, qui était écrite en anglais, sans doute par surcroît de précaution. Voici ce qu’elle contenait :

« Mademoiselle,

» Une malheureuse fatalité m’a poussé ; j’ignore ce que diront mes ennemis, quelles calomnies ils inventeront. Peu m’importe, si vous, mademoiselle, vous n’y donnez pas créance. Depuis que je vous ai vue, je m’étais bercé de rêves insensés. Il a fallu cette catastrophe pour me montrer ma folie ; je suis raisonnable maintenant. Je sais quel est l’avenir qui m’attend, et il me trouvera résigné. Cette bague que vous m’avez donnée et que je croyais un talisman de bonheur, je n’ose la garder. Je crains, miss Nevil, que vous n’ayez du regret d’avoir si mal placé vos dons ; ou plutôt, je crains qu’elle me rappelle le temps où j’étais fou. Colomba vous la remettra… Adieu, mademoiselle, vous allez quitter la Corse, et je ne vous verrai plus ; mais dites à ma sœur que j’ai encore votre estime, et, je le dis avec assurance, je la mérite toujours.

» O. D. R. »

Miss Lydia s’était détournée pour lire cette lettre, et Colomba, qui l’observait attentivement, lui remit la bague égyptienne en lui demandant du regard ce que cela signifiait. Mais miss Lydia n’osait lever la tête, et elle considérait tristement la bague, qu’elle mettait à son doigt et qu’elle retirait alternativement.