Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/147

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à craindre… Je serai bien contente si, lorsque nous partirons, je sais qu’on vous a rendu justice et qu’on a reconnu votre loyauté comme votre bravoure.

— Vous partez, miss Nevil ! Ne dites pas encore ce mot-là.

— Que voulez-vous… mon père ne peut pas chasser toujours… Il veut partir.

Orso laissa retomber sa main qui touchait celle de miss Lydia, et il y eut un moment de silence.

— Bah ! reprit Colomba, nous ne vous laisserons pas encore partir. Nous avons encore bien des choses à vous montrer à Pietranera… D’ailleurs, vous m’avez promis de faire mon portrait, et vous n’avez pas encore commencé… Et puis je vous ai promis de vous faire une serenata en soixante-quinze couplets… Et puis… Mais qu’a donc Brusco à grogner ?… Voilà Brandolaccio qui court après lui… Voyons ce que c’est.

Aussitôt elle se leva, et posant sans cérémonie la tête d’Orso sur les genoux de miss Nevil, elle courut auprès des bandits.

Un peu étonnée de se trouver ainsi soutenant un beau jeune homme, en tête-à-tête avec lui au milieu d’un mâquis, miss Nevil ne savait trop que faire, car, en se retirant brusquement, elle craignait de faire mal au blessé. Mais Orso quitta lui-même le doux appui que sa sœur venait de lui donner, et, se soulevant sur son bras droit : — Ainsi, vous partez bientôt, miss Lydia ? je n’avais jamais pensé que vous dussiez prolonger votre séjour dans ce malheureux pays,… et pourtant,… depuis que vous êtes venue ici, je souffre cent fois plus en songeant qu’il faut vous dire adieu… Je suis un pauvre lieutenant,… sans avenir,… proscrit maintenant… Quel moment, miss Lydia, pour vous dire que je vous aime… mais c’est sans doute la seule fois que je pourrai vous le dire, et il me