Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/158

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— Ma belle-sœur future n’aime pas le mâquis, dit Colomba en riant, elle y a eu trop peur.

— Enfin, dit Orso, voulez-vous rester ici ? Soit. Dites-moi si je puis faire quelque chose pour vous ?

— Rien, dit Brandolaccio, que de nous conserver un petit souvenir. Vous nous avez comblés. Voilà Chilina qui a une dot, et qui, pour bien s’établir, n’aura pas besoin que mon ami le curé écrive des lettres sans menaces. Nous savons que votre fermier nous donnera du pain et de la poudre en nos nécessités : ainsi, adieu. J’espère vous revoir en Corse un de ces jours.

— Dans un moment pressant, dit Orso, quelques pièces d’or font grand bien. Maintenant que nous sommes de vieilles connaissances, vous ne me refuserez pas cette petite cartouche qui peut vous servir à vous en procurer d’autres.

— Pas d’argent entre nous, lieutenant, dit Brandolaccio d’un ton résolu.

— L’argent fait tout dans le monde, dit Castriconi ; mais dans le mâquis on ne fait cas que d’un cœur brave et d’un fusil qui ne rate pas.

— Je ne voudrais pas vous quitter, reprit Orso, sans vous laisser quelque souvenir. Voyons, que puis-je te laisser, Brando ?

Le bandit se gratta la tête, et, jetant sur le fusil d’Orso un regard oblique :

— Dame, mon lieutenant… si j’osais… mais non, vous y tenez trop.

— Qu’est-ce que tu veux ?

— Rien… la chose n’est rien… il faut encore la manière de s’en servir. Je pense toujours à ce diable de coup double et d’une seule main… Oh ! cela ne se fait pas deux fois.

— C’est ce fusil que tu veux ?… Je te l’apportais ; mais sers-t’en le moins que tu pourras.