Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/245

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dats, qui le raillaient de sa réserve, lui avaient donné le sobriquet de Modesto. C’était sous ce nom qu’il était connu dans la compagnie, et ses chefs mêmes ne lui en donnaient pas d’autre.

La campagne finit par le siège de Berg-op-Zoom, qui fut, comme on le sait, un des plus meurtriers de cette guerre, les assiégés s’étant défendus avec le dernier acharnement. Une nuit les deux amis se trouvaient ensemble de service à la tranchée, alors tellement rapprochée des mitrailles de la place, que le poste était des plus dangereux. Les sorties des assiégés étaient fréquentes, et leur feu vif et bien dirigé.

La première partie de la nuit se passa en alertes continuelles ; ensuite assiégés et assiégeants parurent céder également à la fatigue. De part et d’autre on cessa de tirer, et un profond silence s’établit dans toute la plaine, ou s’il était interrompu, ce n’était que par de rares décharges, qui n’avaient d’autre but que de prouver que si on avait cessé de combattre on continuait néanmoins à faire bonne garde. Il était environ quatre heures du matin ; c’est le moment où l’homme qui a veillé éprouve une sensation de froid pénible, accompagnée d’une espèce d’accablement moral, produit par la lassitude physique et l’envie de dormir. Il n’est aucun homme de bonne foi qui ne convienne qu’en de pareilles dispositions d’esprit et de corps il s’est senti capable de faiblesses dont il a rougi après le lever du soleil.

— Morbleu ! s’écria don Garcia en piétinant pour se réchauffer, et serrant son manteau autour de son corps, je sens ma moelle se figer dans mes os ; je crois qu’un enfant hollandais me battrait avec une cruche à bière pour toute arme. En vérité, je ne me reconnais plus. Voilà une arquebusade qui vient de me faire tressaillir. Moi ! si j’étais dévot, il ne tiendrait qu’à moi de prendre l’étrange état où je me trouve pour un avertissement d’en haut.