Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/248

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camarades se réunissent dans une glorieuse orgie après mon enterrement.

Telles furent à peu près ses dernières paroles. De Dieu, de l’autre monde, il ne s’en soucia pas plus qu’il ne l’avait fait étant plein de vie et de force. Il mourut le sourire sur les lèvres, la vanité lui donnant la force de soutenir jusqu’au bout le rôle détestable qu’il avait si longtemps joué. Modesto ne reparut plus. Toute l’armée fut persuadée qu’il était l’assassin de don Garcia ; mais on se perdait en vaines conjectures sur les motifs qui l’avaient poussé à ce meurtre.

Don Juan regretta don Garcia plus qu’il n’aurait fait de son frère. Il se disait, l’insensé ! qu’il lui devait tout. C’était lui qui l’avait initié aux mystères de la vie, qui avait détaché de ses yeux l’écaille épaisse qui les couvrait. Qu’étais-je avant de le connaître ? se demandait-il, et son amour-propre lui disait qu’il était devenu un être supérieur aux autres hommes. Enfin tout le mal qu’en réalité lui avait fait la connaissance de cet athée, il le changeait en bien, et il en était aussi reconnaissant qu’un disciple doit l’être à l’égard de son maître.

Les tristes impressions que lui laissa cette mort si soudaine demeurèrent assez longtemps dans son esprit pour l’obliger à changer pendant plusieurs mois son genre de vie. Mais peu à peu il revint à ses anciennes habitudes, maintenant trop enracinées en lui pour qu’un accident pût les changer. Il se remit à jouer, à boire, à courtiser les femmes et à se battre avec les maris. Tous les jours il avait de nouvelles aventures. Aujourd’hui montant à une brèche, le lendemain escaladant un balcon ; le matin ferraillant avec un mari, le soir buvant avec des courtisanes.

Au milieu de ses débauches il apprit que son père venait de mourir ; sa mère ne lui avait survécu que de quelques jours, en sorte qu’il reçut les deux nouvelles à la fois. Les hommes d’affaires, d’accord avec son propre goût, lui conseillaient de retourner en Espagne et de prendre pos-