Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/254

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avait à vendre. — N’auriez-vous pas des citrons à la Maraña ? demanda-t-il de l’air le plus naturel du monde.

— Des citrons à la Maraña, seigneur cavalier ? Voici la première fois que j’entends parler de ces confitures-là.

— Rien n’est plus à la mode pourtant, et je m’étonne que dans une maison comme la vôtre on n’en fasse pas beaucoup.

— Citrons à la Maraña ?

— À la Maraña, répéta don Juan en pesant sur chaque syllabe. Il est impossible que quelqu’une de vos religieuses ne sache pas la recette pour les faire. Demandez, je vous prie, à ces dames, si elles ne connaissent pas ces confitures-là. Demain je repasserai.

Quelques minutes après il n’était question dans tout le couvent que des citrons à la Maraña. Les meilleures confiseuses n’en avaient jamais entendu parler. La sœur Agathe seule savait le procédé. Il fallait ajouter de l’eau de roses, des violettes, etc., à des citrons ordinaires, puis… Elle se chargeait de tout. Don Juan, lorsqu’il revint, trouva un pot de citrons à la Maraña ; c’était, à la vérité, un mélange abominable au goût ; mais, sous l’enveloppe du pot, se trouvait un billet de la main de Teresa. C’était de nouvelles prières de renoncer à elle et de l’oublier. La pauvre fille cherchait à se tromper elle-même. La religion, la piété filiale et l’amour se disputaient le cœur de cette infortunée ; mais il était aisé de s’apercevoir que l’amour était le plus puissant. Le lendemain, don Juan envoya un de ses pages au couvent avec une caisse contenant des citrons qu’il voulait faire confire, et qu’il recommandait particulièrement à la religieuse qui avait préparé les confitures achetées la veille. Au fond de la caisse était adroitement cachée une réponse aux lettres de Teresa. Il lui disait : « J’ai été bien malheureux. C’est une fatalité qui a conduit mon bras. Depuis cette nuit funeste je n’ai cessé de penser à toi. Je n’osais espérer que tu ne me haïrais pas. Enfin je