Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/259

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qu’il avait projeté ; et, après avoir donné tous les ordres nécessaires à ses domestiques, il partit seul pour Séville par la grande chaleur du jour afin de n’y arriver qu’à la nuit. Effectivement il était nuit noire quand il passa près de la tour de del Lloro, où un de ses domestiques l’attendait. Il lui remit son cheval, s’informa si la litière et les mules étaient prêtes. Suivant ses ordres, elles devaient l’attendre dans une rue assez voisine du couvent pour qu’il pût s’y rendre promptement à pied avec Teresa, et cependant pas assez près pour exciter les soupçons de la ronde, si elle venait à les rencontrer. Tout était prêt, ses instructions avaient été exécutées à la lettre. Il vit qu’il avait encore une heure à attendre avant de pouvoir donner le signal convenu à Teresa. Son domestique lui jeta un grand manteau brun sur les épaules, et il entra seul dans Séville par la porte de Triana, se cachant la figure de manière à n’être pas reconnu. La chaleur et la fatigue le forcèrent de s’asseoir sur un banc dans une rue déserte. Là il se mit à siffler et fredonner les airs qui lui revinrent à la mémoire. De temps en temps il consultait sa montre et voyait avec chagrin que l’aiguille n’avançait pas au gré de son impatience… Tout à coup une musique lugubre et solennelle vint frapper son oreille. Il distingua sans peine les chants que l’Église a consacrés aux enterrements. Bientôt une procession tourna le coin de la rue et s’avança vers lui. Deux longues files de pénitents portant des cierges allumés précédaient une bière couverte de velours noir et portée par plusieurs figures habillées à la mode antique, la barbe blanche et l’épée au côté. La marche était fermée par deux files de pénitents en deuil et portant des cierges comme les premiers. Tout ce convoi s’avançait lentement et gravement. On n’entendait pas le bruit des pas sur le pavé, et l’on eût dit que chaque figure glissait plutôt qu’elle ne marchait. Les plis longs et roides des robes et des man-