Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/274

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

quand il fut soudainement interrompu dans ses méditations par l’explosion d’une arme à feu. Il se leva, et se tourna du côté de la plaine d’où partait ce bruit. D’autres coups de fusil se succédèrent, tirés à intervalles inégaux, et toujours de plus en plus rapprochés ; enfin, dans le sentier qui menait de la plaine à la maison de Mateo parut un homme coiffé d’un bonnet pointu comme en portent les montagnards, barbu, couvert de haillons, et se traînant avec peine en s’appuyant sur son fusil. Il venait de recevoir un coup de feu dans la cuisse.

Cet homme était un bandit[1], qui, étant parti de nuit pour aller chercher de la poudre à la ville, était tombé en route dans une embuscade de voltigeurs corses[2]. Après une vigoureuse défense, il était parvenu à faire sa retraite, vivement poursuivi et tiraillant de rocher en rocher. Mais il avait peu d’avance sur les soldats et sa blessure le mettait hors d’état de gagner le mâquis avant d’être rejoint.

Il s’approcha de Fortunato et lui dit :

— Tu es le fils de Mateo Falcone ?

— Oui.

— Moi, je suis Gianetto Sanpiero. Je suis poursuivi par les collets jaunes[3]. Cache-moi, car je ne puis aller plus loin.

— Et que dira mon père si je te cache sans sa permission ?

— Il dira que tu as bien fait.

    priétés, ses alliances ou sa clientèle, exerce une influence et une sorte de magistrature effective sur une pieve ou un canton. Les Corses se divisent, par une ancienne habitude, en cinq castes, savoir : les gentilshommes (dont les uns sont magnifiques, les autres signori), les caporali, les citoyens, les plébéiens et les étrangers.

  1. Ce mot est ici synonyme de proscrit.
  2. C’est un corps levé depuis peu d’années par le gouvernement, et qui sert concurremment avec la gendarmerie au maintien de la police.
  3. L’uniforme des voltigeurs était alors un habit brun avec un collet jaune.