Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/280

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sa main droite s’éleva vers la montre : le bout de ses doigts la toucha ; et elle pesait tout entière dans sa main sans que l’adjudant lâchât pourtant le bout de la chaîne… le cadran était azuré… la boîte nouvellement fourbie… au soleil, elle paraissait toute de feu… La tentation était trop forte.

Fortunato éleva aussi sa main gauche, et indiqua du pouce, par-dessus son épaule, le tas de foin auquel il était adossé. L’adjudant le comprit aussitôt. Il abandonna l’extrémité de la chaîne ; Fortunato se sentit seul possesseur de la montre. Il se leva avec l’agilité d’un daim, et s’éloigna de dix pas du tas de foin, que les voltigeurs se mirent aussitôt à culbuter.

On ne tarda pas à voir le foin s’agiter ; et un homme sanglant, le poignard à la main, en sortit : mais, comme il essayait de se lever en pied, sa blessure refroidie ne lui permit plus de se tenir debout. Il tomba. L’adjudant se jeta sur lui et lui arracha son stylet. Aussitôt on le garrotta fortement malgré sa résistance.

Gianetto, couché par terre et lié comme un fagot, tourna la tête vers Fortunato qui s’était rapproché. Fils de… ! lui dit-il avec plus de mépris que de colère. L’enfant lui jeta la pièce d’argent qu’il en avait reçue, sentant qu’il avait cessé de la mériter ; mais le proscrit n’eut pas l’air de faire attention à ce mouvement. Il dit avec beaucoup de sang-froid à l’adjudant : Mon cher Gamba, je ne puis marcher ; vous allez être obligé de me porter à la ville.

— Tu courais tout à l’heure plus vite qu’un chevreuil, repartit le cruel vainqueur ; mais sois tranquille : je suis si content de te tenir, que je te porterais une lieue sur mon dos sans être fatigué. Au reste, mon camarade, nous allons te faire une litière avec des branches et ta capote, et à la ferme de Crespoli nous trouverons des chevaux.