Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/410

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Bertrand. Monsieur, non. Pourtant, si j’osais, j’aurais bien deux petits mots à dire ; mais je crains de dire des bêtises, car moi je ne suis qu’un pauvre paysan…

Édouard. Parlez ! parlez ! je suis sûr que ce que vous direz sera très-amusant. Silence, messieurs, silence ! Écoutez M. Bertrand. (Il frappe sur la table.)

Bertrand. Ce que je voulais dire, c’est bien simple. Je voulais dire que, sauf le respect de toute la compagnie, nous nous amusons à la moutarde. Laissons aux curés à faire des sermons. Nous autres, nous n’avons pas besoin de tant de beaux dictons pour convenir de nos faits. Quand j’étais avec Jean Chouan, il ne nous en disait jamais bien long. Il disait : « Si nous allions surprendre les Bleus à la ferme des Herbages ? » Nous disions : « Oui. » Il disait : « Avez-vous des cartouches ? y a-t-il des pierres neuves à vos fusils ? » Nous disions : « Oui. » Il disait : « Buvons un coup, marche, et vive le roi ! » Nous trinquions, et nous partions.

Édouard. Bravo ! morbleu ! c’est M. Bertrand qui remportera le prix de l’éloquence !

Bertrand. Moi, en venant ici, je m’imaginais que vous n’aviez pas besoin de toutes ces belles harangues pour vous animer à bien faire. Je croyais tout bonnement que nous allions commencer le branle ; je croyais, une supposition, qu’on m’aurait dit : Sanspeur, vous allez surprendre le poste de gendarmerie de ***. — Vous, monsieur de Machicoulis, révérence parler, vous ferez sonner le tocsin chez vous. — Vous, vous tâcherez de mettre la main sur le préfet… Comme cela, sans plus de façon. J’avais apporté des cartouches, et j’avais empli ma gourde de bataille.

Le baron de Machicoulis. Diable ! comme il y va !

Le comte. Nous n’en sommes pas encore là, Dieu merci.

Le comte de Fierdonjon, à Bertrand. Mon ami, vous n’êtes pas ici avec les hommes de Jean Chouan, vous êtes