Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/412

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Édouard. Bonne invention ! Adopté.

Bertrand. Les amis du malheur ! Comme cela, si on crie qui vive, et si on ne répond pas : Amis du malheur… vlan ! un coup de fusil…

Édouard. Le compère va lestement en besogne. Vous avez fait la guerre, hein ?

Bertrand. Mais, monsieur, pendant longtemps je n’ai pas fait d’autre métier.

La comtesse. Monsieur a fait la guerre de la Vendée. Il était major dans l’armée royale.

Édouard. Oui, oui, la guerre des chouans… guerre d’escarmouches… derrière des haies… des coups de fusil aux traînards… Peste ! jolie guerre ! On vivait longtemps dans ce temps-là.

Bertrand. C’est selon. Il y en a bien des jeunes et des vieux qui se porteraient peut-être bien aujourd’hui s’ils n’étaient pas morts dans celle jolie guerre-là. Il y en a qui s’étonnent de voir leur blé pousser si haut dans des endroits que je connais… c’est rapport aux gens qu’on y a enterrés. Moi qui vous parle, monsieur, j’ai vu plus d’une affaire où ceux qui s’en tiraient devaient une fière chandelle à la bonne Vierge. Un jour, dans les landes du Gros-Sablon, nous étions deux cents qui eurent affaire à environ autant de Bleus. Nous les défîmes ; mais le soir nous n’étions que quarante-cinq à manger la soupe.

Édouard. Pas mal. L’affaire a dû être disputée. Et des vaincus, combien en resta-t-il ?

Bertrand. Pas un.

Édouard. Pas mal, en vérité.

Le comte. Si ces messieurs parlent guerre, nous n’aurons jamais fini…

La comtesse. Il faudrait que les amis du malheur portassent quelque signe au moyen duquel ils pourraient se reconnaître…