Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/415

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le comte de Fierdonjon. La poire n’est pas mûre, bonhomme.

Bertrand. Elle serait pourrie, morbleu ! que vous n’oseriez pas la cueillir !

Le comte. Voilà notre société à peu près organisée ; quels seront ses premiers travaux ?… (Grand silence.)

Le baron de Machicoulis. Le mieux serait de travailler sourdement les esprits pour les détacher de l’usurpateur. Si l’on pouvait trouver le moyen d’imprimer clandestinement les courtes réflexions…

Le marquis de Malespine. On pourrait imprimer en même temps mon discours…

Le comte. Oui, et le mien quand je l’aurai trouvé. Je ne puis croire qu’il soit perdu.

Le chevalier de Thimbray. L’embarras serait de trouver un imprimeur honnête homme.

Le marquis de Malespine. À la rigueur on pourrait faire circuler des copies manuscrites.

Le comte de Fierdonjon. Oui, mais on connaît nos écritures.

Le marquis de Malespine. Si madame voulait se donner la peine… Une écriture de femme, cela n’est pas suspect.

Le comte. Gardez-vous-en bien. Tout le monde ici connaît l’écriture de ma femme.

Le chevalier de Thimbray. Un autre inconvénient, c’est que peu de gens dans ce pays savent lire.

(Un silence.)

Bertrand. Voulez-vous m’écouter un instant ? Je vois que l’affaire tourne mal, et que parmi nous il y en a peu qui soient disposés à risquer leur cou pour la bonne cause. Une idée me vient. Quand je dis qu’elle me vient, je veux dire qu’elle me revient, car j’y ai pensé bien souvent. Moi, je suis un pauvre paysan. Je me fais vieux, je ne suis plus bon à grand’chose… pourtant…