Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/416

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Le comte de Fierdonjon. Pourtant, vous savez encore fort bien tuer des perdrix partout où vous en trouvez.

Bertrand. Je ne dis pas non. Je tire encore assez bien. — Or donc, je me disais : Faut faire quelque chose pour la bonne cause. Ce qui empêche notre roi de revenir, c’est cet autre qui a pris sa place. Cet autre-là pourtant, ce n’est pas le diable. Sa peau n’est pas si dure qu’une planche de chêne, et j’en ai vu, des lurons, qui traversaient d’un coup de couteau une planche de chêne épaisse de deux pouces.

Le comte. Où voulez-vous en venir ?

Bertrand. Voici. Je me disais donc : Je suis vieux, oui, mais je nourris quoique cela ma femme et mon gars. Si je meurs, les voilà qui sont à demander leur pain. Si ces messieurs veulent me signer un écrit comme quoi ils leur feront une pension de douze cents livres après ma mort, voici ce que je leur promets de faire. Je pars pour Paris ; je tâche de voir l’empereur ; si je puis l’approcher à longueur de bras, j’en réponds, il est mort… Si je le manque, eh bien ! un autre pourra faire ce que j’aurais voulu faire. On me fusille, bien ; mais je me dirai : Au moins la bonne femme et mon gars auront du pain.

Le comte de Fierdonjon. Morbleu ! il y aurait là de quoi nous faire fusiller tous !

Édouard. Il a le diable au corps. Assassiner l’empereur ! il est pire qu’un moine espagnol !

Le baron de Machicoulis, bas au comte des Tournelles. Ne serait-ce pas un espion que ce coquin-là ?

Bertrand. L’écrit, bien entendu, serait mis en lieu sûr. On ne le montrerait qu’après ma mort.

La comtesse. Cet homme m’effraye au dernier point. C’est un brigand affreux.

Le comte. Mon ami, votre proposition est des plus