Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/450

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comme je suis, je donnai mon offrande avec un sentiment de respect.

En vérité j’aime ces cérémonies catholiques, et je voudrais y croire. Dans cette occasion, elles ont l’avantage de frapper la foule infiniment plus que notre charrette, nos gendarmes, et ce cortège mesquin et ignoble qui accompagne en France les exécutions. Ensuite, et c’est pour cela surtout que j’aime ces croix et ces processions, elles doivent contribuer puissamment à adoucir les derniers moments d’un condamné. Cette pompe lugubre flatte d’abord sa vanité, ce sentiment qui meurt en nous le dernier. Puis ces moines qu’il révère depuis son enfance et qui prient pour lui, les chants, la voix des hommes qui quêtent pour qu’on lui dise des messes, tout cela doit l’étourdir, le distraire, l’empêcher de réfléchir sur le sort qui l’attend. Tourne-t-il la tête à droite, le franciscain de ce côté lui parle de l’infinie miséricorde de Dieu. À gauche, un autre franciscain est tout prêt à lui vanter la puissante intercession de monseigneur saint François. Il marche au supplice comme un conscrit entre deux officiers qui le surveillent et l’exhortent. Il n’a pas un instant de repos, s’écriera le philosophe. Tant mieux. L’agitation continuelle où on le tient l’empêche de se livrer à ses pensées, qui le tourmenteraient bien davantage.

J’ai compris alors pourquoi les moines, et surtout ceux des ordres mendiants, exercent tant d’influence sur le bas peuple. N’en déplaise aux libéraux intolérants, ils sont en réalité l’appui et la consolation des malheureux, depuis leur naissance jusqu’à leur mort. Quelle horrible corvée, par exemple, que celle-ci, entretenir pendant trois jours un homme qu’on va faire mourir ! Je crois que, si j’avais le malheur d’être pendu, je ne serais pas fâché d’avoir deux franciscains pour causer avec moi.

La route que suivait la procession était très-tortueuse,