Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/74

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l’homme qui me fera quitter mes habits de deuil fera prendre le deuil aux femmes de là-bas.

— Cela devient de la folie, se dit Orso. Mais il ne répondit rien pour éviter toute discussion.

— Mon frère, dit Colomba d’un ton de câlinerie, j’ai aussi quelque chose à vous offrir. Les habits que vous avez là sont trop beaux pour ce pays-ci. Votre jolie redingote serait en pièces au bout de deux jours si vous la portiez dans le mâquis. Il faut la garder pour quand viendra miss Nevil. — Puis, ouvrant une armoire, elle en tira un costume complet de chasseur. — Je vous ai fait une veste de velours, et voici un bonnet comme en portent nos élégants ; je l’ai brodé pour vous il y a bien longtemps. Voulez-vous essayer cela ?

Et elle lui faisait endosser une large veste de velours vert ayant dans le dos une énorme poche. Elle lui mettait sur la tête un bonnet pointu de velours noir brodé en jais et en soie, de la même couleur, et terminé par une espèce de houppe.

— Voici la cartouchère[1] de notre père, dit-elle ; son stylet est dans la poche de votre veste. Je vais vous chercher le pistolet.

— J’ai l’air d’un vrai brigand de l’Ambigu-Comique, disait Orso en se regardant dans un petit miroir que lui présentait Saveria.

— C’est que vous avez tout à fait bonne façon comme cela, Ors’ Anton’, disait la vieille servante, et le plus beau pointu[2] de Bocognano ou de Bastelica n’est pas plus brave !

Orso déjeuna dans son nouveau costume, et pendant le repas il dit à sa sœur que sa malle contenait un certain

  1. Carchera, ceinture où l’on met des cartouches. On y attache un pistolet à gauche.
  2. Pinsuto, On appelle ainsi ceux qui portent le bonnet pointu, barreta pinsuta.