Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/86

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Mais, avant de partir, il avait mis l’argent dans la besace du bandit sans qu’il s’en fût aperçu.

— Adieu, Ors’ Anton’ ! dit le théologien. Nous nous retrouverons peut-être au mâquis un de ces jours, et nous continuerons nos études sur Virgile.

Orso avait quitté ses honnêtes compagnons depuis un quart d’heure, lorsqu’il entendit un homme qui courait derrière lui de toutes ses forces. C’était Brandolaccio :

— C’est un peu fort, mon lieutenant, s’écria-t-il hors d’haleine, un peu trop fort ! voilà vos dix francs. De la part d’un autre, je ne passerais pas l’espiéglerie. Bien des choses de ma part à mademoiselle Colomba. Vous m’avez tout essoufflé ! Bonsoir.

XII.

Orso trouva Colomba un peu alarmée de sa longue absence ; mais, en le voyant, elle reprit cet air de sérénité triste qui était son expression habituelle. Pendant le repas du soir, ils ne parlèrent que de choses indifférentes, et Orso, enhardi par l’air calme de sa sœur, lui raconta sa rencontre avec les bandits, et hasarda même quelques plaisanteries sur l’éducation morale et religieuse que recevait la petite Chilina par les soins de son oncle et de son honorable collègue, le sieur Castriconi.

— Brandolaccio est un honnête homme, dit Colomba ; mais, pour Castriconi, j’ai entendu dire que c’était un homme sans principes.

— Je crois, dit Orso, qu’il vaut tout autant que Brandolaccio, et Brandolaccio autant que lui. L’un et l’autre sont en guerre ouverte avec la société. Un premier crime les entraîne chaque jour à d’autres crimes ; et pourtant ils ne sont peut-être pas aussi coupables que bien des gens qui n’habitent pas le mâquis.