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CERVANTES.

une facilité extraordinaire, même dans son pays, où les tragiques comptent leurs ouvrages par centaines ; mais les lois de la versification et le mauvais goût qu’il avait puisés dans les écoles entravaient encore son génie.

Dégoûté d’écrire et sans moyens de poursuivre ses études, il passa en Italie en 1569, recommandé au cardinal Jules Aquaviva, qui lui donna une place de page, ou plutôt de valet de chambre avec l’espérance de lui faire avoir un jour un petit bénéfice. Je ne sais quel abbé on aurait pu faire de Cervantes, mais cette perspective ne pouvait pas plaire longtemps à son caractère aventureux. Apprenant que le pape levait des troupes contre les Turcs, il quitta le service du cardinal, s’engagea comme soldat et fit, sous les ordres de Marc-Antoine Colonna, la malheureuse campagne de Chypre. L’année suivante, il fut embarqué sur la flotte des croisés, commandée par don Juan d’Autriche, et assista à la glorieuse et inutile bataille de Lépante. Blessé dès le commencement du combat, il n’abandonna son poste qu’après la fuite des infidèles. Un coup d’arquebuse et surtout de mauvais chirurgiens lui firent perdre l’usage de la main gauche. Si la balle l’eût frappé à la main droite,